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Vocation


Le silence régnait dans le laboratoire obscur. Allongés sur des lits alignés, plusieurs centaines de corps étaient branchés par leur tempe à une immense machine recouvrant les murs de la salle. Parmi eux, le tien, couché comme les autres, inconscient. La rumeur de l’ascenseur brisa la tranquillité lugubre des lieux et ses portes s’ouvrirent sur deux hommes. L’un, petit, rond et chauve, portait un costume émeraude alors que l’autre, haut, fin et au visage de requin, arborait une tenue pourpre. Le moins grand prit la parole alors que les lampes illuminèrent l’entrée de la pièce.

– Vous avez donc trouvé une solution au problème de motivation de mes agents ?

– Ma foi, sans vous offenser, je crois que si cela n’avait pas été le cas je ne vous aurais pas appelé.

Le géant s’approcha d’une console, pianota sur un clavier et une image holo-projetée apparut au centre de la pièce.

– Plutôt qu’un long discours, regardons cet enregistrement mnémonique d’un certain… Thomas Flinter, l’un de vos meilleurs agents.

Dans la première scène on voyait un jeune homme, Thomas, fraîchement diplômé, entouré par ses amis et sa famille lors de sa soirée de gala. Les sous-titres, traduisant ses pensées, indiquaient sa fierté d’avoir été le premier de sa promotion et d’être embauché dans une société de service. La fête continuait alors que l’image s’effaçait peu à peu.

La séquence suivante montrait le jeune cadre changeant souvent d’entreprises, travaillant pour des clients anonymes, sur des projets dont il ne connaissait pas les buts. Ce train de vie le rendait heureux, il gagnait assez d’argent pour que lui et sa famille aient une vie confortable. Il était fier de son poste. Les emplois défilaient, tandis que l’image s’effaçait lentement.

La dernière scène révélait Thomas assis dans son canapé avec sa famille en train de regarder les informations, une nouvelle fois fier de lui. Le journaliste présentait son invention permettant de catégoriser les personnes avec des critères arbitraires. Bien évidement il ne fut pas cité, mais il se souvenait très bien de cette mission. Grâce à lui beaucoup de mouvements opposés au gouvernement seraient éradiqués. Oui, Thomas était fier.

Alors que l’image disparaissait, l’homme au costard émeraude se tourna vers son alter ego vêtu de pourpre.

– Je ne vois pas où vous voulez en venir. Cet enregistrement mnémonique est certes de bonne facture, mais il reste à peu de choses près similaire à ce que j’aurais pu obtenir dans n’importe quel laboratoire psychiatrique. De plus je ne vois pas en quoi il peut résoudre mon problème.

Amusé, le géant servit deux verres de whisky.

– Ma foi, sans vous offenser, il me semble que la solution réside dans ces peu de choses qui diffèrent. Thomas Flinter a effectivement eu son diplôme haut la main, travaillé toute sa vie en sociétés de services et finit par découvrir malgré lui une façon de trier la population. La seule différence entre ce que je viens de vous montrer et un enregistrement ordinaire est son état d’esprit. Il était anxieux à la sortie de son diplôme, il n’a jamais aimé travailler en société de service et il attribuait la responsabilité de l’éradication des Érudites et l’asservissement des militants à lui et son invention, alors qu’en soit, il n’a fait que satisfaire un client de plus. Aujourd’hui il est fier de tout ça. Et cette fierté est ancrée dans chacun de ses souvenirs.

Le chauve écarquilla les yeux. Enfin il comprenait l’impact de cette invention.

– Je vois que vos lumières se sont allumées. Cette machine à laquelle sont reliés tous ces cadres sera un parfait complément à leur éducation. En plus d’être compétents, ils seront dociles, obéissants et fiers de servir les projets les plus abjects.

Le requin sourit, découvrant ses deux rangées de dents blanches, tendit un verre à son interlocuteur et leva le sien.

– À nos nouveaux hommes-outils, qu’ils puissent nous être encore plus rentables qu’avant.

Le petit homme porta le toast pour sauver les apparences, et sa vie par la même occasion. Il s’approcha du corps le plus proche, le tien. Il débrancha discrètement l’électrode collée sur ta tempe, avant de rejoindre son hôte et quitter la salle.

À toi de faire la différence maintenant. Garde ton libre arbitre. Vois, réfléchis, critique et change notre monde…